Article rédigé par Xavier Brunschvicg – Fondateur de Clashman Corp. | Directeur de la communication et des affaires publiques, un de nos nombreux Talents Juste, qui partage avec nous ses idées et son expertise !


Quel paradoxe ! Comment expliquer le décalage qu’il existe entre la centralité de l’industrie pharma dans le débat public et le silence de cette dernière, ses préventions, ses réserves, sa pudeur, pour ne pas dire ses craintes à y prendre part ? Pourquoi l’industrie ne parvient-elle pas (ou ne souhaite-t-elle pas…) tirer parti d’un contexte si favorable pour améliorer son image, sa réputation, son influence et donc son business ? Lettre d’amour de deux admirateurs sincères…  

Petite anecdote qui en dit long… Je me souviens, il y a quelques années, d’une réunion entre directeurs de la communication de différents laboratoires. Un de mes collègues y avait dit que nous n’avions pas besoin, en tant qu’industrie, d’être aimés du grand public parce que nos interlocuteurs étaient essentiellement les autorités de santé, les décideurs et les politiques. Je lui avais répondu en inversant la perspective : « à défaut d’être aimé par le grand public, peut-on se permettre d’être durablement détesté par ce dernier ? ». Il était resté tout coi ! Car dans une démocratie d’opinion comme la nôtre, les décideurs, ceux qui, par exemple, fixent le prix des médicaments, sont influencés dans leurs décisions par ce qu’ils pensent être l’opinion du grand public et cela a des conséquences très directes sur notre business. Bref, faire l’impasse sur l’opinion du grand public, c’est se tirer une balle dans le pied. Qui défendra l’industrie quand un énième plan d’économie viendra rogner ses marges ? Qui viendra en soutien des labos quand une nouvelle taxe ou une nouvelle réglementation viendra entraver son développement ?

POURQUOI L’INDUSTRIE PHARMA COMMUNIQUE-T-ELLE SI MAL ?

I. DES RAISONS SECTORIELLES ET HISTORIQUES

1. La complexité des sujets liés aux sciences de la vie

C’est compliqué les sciences de la vie. Allez expliquer au grand public ou même à un journaliste comment fonctionne une immunothérapie, ce qu’est une CAR-T Cell ou le principe de l’apoptose… Les sujets compliqués se prêtent à merveille à des simplifications hasardeuses ou au complotisme. Dans ces conditions, beaucoup d’acteurs de l’industrie préfèrent renoncer et laisser à d’autres (associations de patients, experts, journalistes, autorités de santé…) le soin de mener cette pédagogie pourtant indispensable. Ou alors, ils se contentent de banalités lénifiantes sur l’innovation, le respect des patients ou l’importance de la vie. Du coup, tous les labos disent la même chose et se ressemblent, ce qui donne le sentiment d’une uniformité pourtant loin de la réalité. Restons basiques…

 2. Le poids des scandales

L’industrie pharmaceutique, comme toutes les industries, a été impliquée dans des scandales ou a été l’objet de polémiques. Cela peut concerner des médicaments, des vaccins, des liens d’intérêt… La réalité des faits est en général bien plus complexe que ce qu’en reportent les médias. Pour autant, ces polémiques constituent de véritables traumatismes pour les laboratoires qui les craignent par-dessus tout. Pour les éviter, certains préfèrent s’enfermer dans la stratégie du silence et laisser à d’autres qu’eux le soin de monter au créneau pour défendre leurs intérêts. Ou pas… Du coup c’est silence radio et personne ne défend le secteur dont l’image dégradée persiste. Courage fuyons…

3. Des médias pas toujours au niveau

Soyons honnêtes ! Ce ne sont pas toujours les labos qui communiquent peu ou mal. Ce sont souvent les médias qui ne veulent rien entendre. Ces derniers ont besoin d’infos qui claquent, sont faciles à comprendre et font de l’audience. Quand les médias, en faisant des copier/coller de dépêches AFP mal digérées, rapportent par exemple que SANOFI supprime 400 emplois de chercheurs et que cela explique pourquoi ils ont du retard dans la mise au point du vaccin anti COVID ( !!!), ils oublient juste de dire que cela n’a rien à voir, que les chercheurs en cardiologie ne sont pas ceux qui sont en infectiologie, que SANOFI est le 1er investisseur privé en R&D en France tous secteurs confondus ou que l’entreprise choisit de focaliser sur des aires thérapeutiques spécifiques et déterminantes comme l’oncologie, qu’elle noue des partenariats stratégiques avec des biotechs super innovantes ou avec des partenaires académiques et que l’entreprise dispose d’un pipeline très riche en matière d’innovations thérapeutiques. Trop compliqué…

4. Un secteur très régulé

L’industrie pharma n’est pas libre dans sa communication car le secteur est très régulé. C’est d’ailleurs tout à fait normal. Il s’agit néanmoins souvent d’une fausse excuse. Car autant la communication des labos est très encadrée quand elle concerne des produits précis remboursés par la Sécurité Sociale, quand il faut signaler des effets secondaires ou procéder à un rappel de produit, autant elle est libre quand les labos communiquent sur des mécanismes ou une pathologie en général. Quant à la communication corporate et au débat public, les labos sont complétement libres dans leur prise de parole. La régulation comme prétexte pour ne pas communiquer…

II. DES RAISONS ÉCONOMIQUES

5. La crainte du politique et l’éloignement du patient      

Beaucoup de médicaments font l’objet d’un remboursement partiel ou total par la Sécurité Sociale. La négociation du prix du médicament, qui obéit à des procédures très strictes et contrôlées, est un enjeu déterminant pour les laboratoires. Il arrive souvent que, pour ne pas nuire à cette négociation, les laboratoires tempèrent leurs prises de parole. L’industrie est ainsi régulièrement ponctionnée par les autorités, souvent de façon excessive. L’industrie pourrait alors monter au créneau pour dénoncer ces excès. Mais elle reste trop souvent en retrait pour ne pas pénaliser ses négociations futures ou mettre en danger ses prix actuels. Dans ce modèle BtoP (Business to Prescriber), le consommateur final est peu présent et n’est pas décisionnaire. L’industrie a donc logiquement tendance à le délaisser. Dommage…

6. Des intérêts divergents entre les labos   

Pour les non-initiés, un labo est un labo. C’est en réalité beaucoup plus complexe. Quels points communs entre un génériqueur et une biotech ? Entre un fabricant de matériel médical et un labo qui fabrique des biothérapies ? Entre un laboratoire qui innove dans une immunothérapie révolutionnaire contre le cancer à 50 000 € la cure et un autre qui fabrique des réactifs à bas coût ? Cette différence d’activité conduit à des divergences de modèle économique et donc d’intérêts. D’où la difficulté à adopter des positions communes et à les porter avec force. Le LEEM, le syndicat des labos, se retrouve parfois impuissant. Il publie des informations de très grande qualité, très solides et pertinentes mais, en matière de débat public, pour ne pas froisser ses membres, doit alors circonscrire son action et sa parole au plus petit dénominateur commun. Pas de vagues…

7. Un secteur qui continue à réaliser des profits (trop ?)   

Quand on discute avec des dirigeants de l’industrie pharma, toutes et tous conviennent qu’elle doit changer, se transformer, être plus offensive et mieux se défendre. Chaque année, lors des discussions autour du PLFSS, ces mêmes dirigeants se plaignent des taxes, ponctions et autres contributions qui lui sont imposées pour réduire le trou de la SECU et préviennent que le secteur va s’effondrer, licencier massivement et se délocaliser. Leurs arguments sont justes. Pour preuve : le taux de croissance annuel moyen du chiffre d’affaires du médicament remboursable est en baisse sur les 5 dernières années ! De même, la R&D du secteur est l’une des plus risquées et les nouveaux médicaments sont rapidement génériqués avec la perte de revenus qui en découle. Pourtant, année après année, malgré toutes ces ponctions, le secteur continue à réaliser des profits importants et ne modifie pas ses modes d’engagement, de communication et de lobbying. Alors finalement, si tout ceci n’était qu’un jeu de rôle ? Faut-il attendre que le secteur soit réellement au pied du mur ou au bord de la faillite pour se transformer pour de vrai ? A ce moment-là il sera trop tard…

III. DES RAISONS MANAGERIALES ET ORGANISATIONNELLES

8. Un management focalisé sur le court terme      

La pression des marchés financiers et le turn-over des dirigeant(e)s de l’industrie pharma sont de plus en plus problématiques, en particulier quand il s’agit de filiales françaises de grands groupes internationaux. Ce n’est pas systématiquement le cas heureusement mais on voit souvent des dirigeant(e)s en poste pour 2 à 3 ans seulement. Ils se focalisent alors logiquement sur des actions de court terme : vendre des boites (de médicaments), lancer de nouveaux produits à forte marges… Pourquoi mener la bataille de la réputation des labos, qui requiert de s’engager sur des terrains aussi sensibles que le prix des médicaments, la transparence, la fiscalité ou les liens d’intérêt ? Il n’y a finalement que des coups à prendre à court terme pour un bénéfice de long terme à ce stade hypothétique. Pourquoi leur en vouloir car c’est sur leurs résultats court terme qu’ils seront évalués, percevront leurs bonus et auront une promotion dans un autre pays. C’est oublier que ce court-termisme peut se révéler délétère. Ne pas s’interroger sur les conditions à réunir pour continuer à exercer son activité sur le long terme en se focalisant sur le business immédiat, c’est prendre le risque de scier la branche sur laquelle on est assis. Après moi le déluge…

9. Des organisations mondialisées et complexes qui laissent peu d’autonomie au terrain          

Les labos, en particulier les gros, c’est souvent World Company… Quand vous êtes DG ou responsable de la com° d’une filiale pays sur le terrain, impossible de prendre une initiative, de diffuser un communiqué de presse ou d’aller faire pipi sans avoir demandé 20 validations, y compris au siège mondial. Comment dans ces conditions faire preuve d’agilité, de réactivité et d’authenticité, conditions pourtant nécessaires à une communication pertinente et efficace ? Chef oui Chef…

10. Endogamie et difficulté à percevoir les attentes de l’opinion    

Les cadres de la pharma sont des femmes et des hommes bien sous tous rapports. Très diplômés, très intelligents, ils ont pour l’essentiel fait l’ensemble de leur carrière dans la pharma, passant d’un labo à un autre. Difficile dans ces conditions de se renouveler, de se remettre en cause et d’innover. Et comme c’est un secteur qui paie très bien, toutes et tous veulent préserver leur job. C’est compréhensible mais cela n’incite pas à prendre des risques. Alors que le monde change à une vitesse inouïe et que les attentes de l’opinion évoluent, le secteur a du mal à appréhender ces dernières et à s’y adapter. Couvrez ce sein que je ne saurais voir…

IV. DES RAISONS CULTURELLES

11. Des prestataires parfois endormis sur leurs lauriers      

Alors que les labos sont pour l’essentiel innovants par nature, ils sont nombreux à travailler avec les mêmes prestataires, notamment en matière de communication. Des agences très compétentes et qui connaissent parfaitement le monde de la santé (et ses journalistes…) mais qui sont souvent tellement spécialisés dans la pharma qu’ils en ont intégré avec excès la culture et les tropismes. Ils gèrent la com° comme si on gérait une procédure, manquant parfois de vision stratégique, de recul et de créativité. Mais ils rassurent les clients (« the job is done ») et encaissent leurs honoraires. Tout le monde est content…

12. Un rapport à l’argent et au profit non assumé   

Le modèle économique de l’industrie pharma repose sur la maximisation du profit de manière à pouvoir investir massivement dans la recherche. Ce modèle, qui mêle profit et santé humaine, peut paraître moralement choquant. Pourtant, ce modèle permet de générer des innovations thérapeutiques qui bénéficieront directement aux patients, et donc à l’intérêt général (voir article ici). Alors pourquoi ne pas l’assumer ? Ce serait tellement plus simple, sain et transparent. Les labos préfèrent mettre en avant leur engagement au profit des patients. Les deux ne sont pourtant pas incompatibles, bien au contraire. Mais mieux vaut être politiquement correct…

QUELLE STRATÉGIE GAGNANTE ?

Alors que fait-on maintenant ? Existe-t-il une stratégie gagnante pour permettre à l’industrie pharmaceutique de prendre la parole de façon volontariste, positive et offensive ? Une stratégie qui, au-delà du « damage control » lui permette de prendre appui sur le débat public pour promouvoir son image, sa réputation, son influence et son business ? Voici quelques pistes de réflexion…

1. Assumer !

Peut-être l’industrie devrait-elle arrêter de se réfugier derrière une communication ultra corporate et lénifiante pétrie de bonnes intentions (« patient at heart ») et de mots creux (« innovation for life »). L’industrie doit assumer son modèle économique et sa volonté de faire du profit, conditions indispensables à l’innovation thérapeutique et à la prise en charge des malades. Quand elle est attaquée ou mise en cause, elle doit l’accepter et considérer que dans nos sociétés ouvertes et démocratiques, cela n’est pas une crise mais du « business as usual ». Elle doit alors répondre, se défendre, et expliquer au lieu de se planquer. Pour surmonter des désaccords, encore faut-il pouvoir les assumer. A ce stade, l’enjeu pour l’industrie n’est pas tant d’être aimée que d’être crue et respectée.

2. Revendiquer !     

L’industrie pharmaceutique investit des milliards d’euros en R&D, ce que les États sont incapables de faire. Elle prend des risques considérables. Ce faisant, c’est elle qui permet à la santé humaine de progresser et qui fait reculer les maladies. L’extraordinaire rapidité de la découverte de vaccins contre la COVID en est l’exemple le plus récent. Sa contribution en matière de santé publique et d’intérêt général est par conséquent majeure. Il faut en être fier et le revendiquer.

3. Incarner !

A de rares exceptions près, personne ne connait les « visages » de la pharma et de ses dirigeant(e)s. Et pour cause, elles et ils ont souvent peur de prendre la parole et de s’exposer (ou en sont empêchés par leurs sièges mondiaux…). Peut-être serait-il judicieux pour les patron(ne)s de faire leur « coming out » et de donner enfin du corps, de la substance et de l’affect à une industrie qui ne se limite pas à une cotation en bourse. Par ailleurs, les medias sont friands de « bons clients ». Alors pourquoi ne pas leur en fournir et participer au débat plutôt que de le subir ?

4. Renouveler !       

Avouons-le : les profils de la pharma sont souvent très similaires et interchangeables. Ne serait-il pas temps pour l’industrie de s’affranchir d’une endogamie excessive et d’une culture trop uniforme qui nuit à l’innovation ? Il existe des talents dans d’autres secteurs dont les expériences et les capacités, transposées à la pharma, pourraient lui permettre de profondément se renouveler dans ses méthodes et ses postures et d’être plus performante. Une Directrice du marketing venant de la Tech, un Directeur des affaires publiques avec un parcours d’activiste militant, un responsable compliance venant d’une ONG anti-corruption… Et pourquoi pas ?

5. Être transparent !

La transparence n’est pas une fin en soi. Les attentes en la matière sont même souvent excessives. Mais que l’on s’en félicite ou qu’on le déplore, nous sommes condamnés à la transparence. L’industrie pharma est d’ailleurs l’un des secteurs les plus transparents au monde. Si un labo offre un café à un médecin, il est même obligé de le déclarer et de le publier ! Pourtant cela ne suffit jamais… Peut-être les labos devraient-ils changer d’approche et passer d’une transparence formelle et bureaucratique où tout est déclaré à une transparence plus substantielle où non seulement tout est déclaré mais de surcroît assumé, expliqué et contextualisé, en expliquant encore et toujours la différence entre lien d’intérêt et conflit d’intérêt, en revenant inlassablement sur le fait qu’il est indispensable pour les progrès de la science que des liens se nouent entre les industriels, le monde académique et les soignants. Tout finit par se savoir alors autant prendre les devants. Là non plus, pas de confiance sans transparence.

6. Renouer avec le long terme !      

La dictature court-termiste épuise les collaborateurs, nuit à leur créativité et à leur performance. Pourquoi réaliser des plans d’actions au « quarter » qui pompent une énergie phénoménale aux équipes et dont on sait qu’ils ne seront jamais respectés ? Pourquoi exclusivement se focaliser sur des enjeux immédiats sans se préoccuper d’enjeux industriels, de compliance ou de réputation de long terme qui auront un impact sur le business ? Pourquoi ne pas nommer des GM, notamment dans les filiales, pour un minimum de 5 ans en les incentivant sur d’autres critères que la performance commerciale ?

Conclusion :

L’industrie pharma est une industrie passionnante, innovante, en mouvement perpétuel et dont la contribution en matière de santé publique et d’intérêt général est déterminante. Certes elle n’est pas exempte de critiques mais qui l’est ?

Espérons qu’elle saura, avant qu’il ne soit trop tard, surmonter sa pudeur, ses préventions et ses conservatismes pour se transformer en profondeur et poursuivre son développement, dans l’intérêt commun. Bref, reprendre confiance et être fière d’elle !

Xavier Brunschvicg et Guillaume Labbez
Article original