Pour moi, le Covid-19 a agi comme une sorte de « hackeur » qui a testé la résistance des organisations, amplifiant les tendances structurelles. Ce qui devait disparaître a disparu beaucoup plus rapidement, ce qui émergeait s’est développé très vite et s’impose à nous.
Lorsque la crise est devenue inéluctable, lorsqu’il a fallu prendre des mesures radicales et inédites et que tout s’est arrêté, le plus frappant a été la vitesse d’adaptation aux événements, et la rapidité avec laquelle les décisions clés ont été prises à tous les niveaux, de l’Etat aux entreprises en passant par les collectivités. En quelques dizaines d’heures, il a fallu sécuriser les équipes, les moyens, informer et communiquer, s’organiser, inventer de nouveaux modes de collaboration, imaginer les financements. Changer complètement de monde et de repères, sans visibilité au-delà de quelques jours. Le prix économique et social à payer sera sans doute lourd à court terme, en particulier dans le commerce et la restauration. Il faut aussi et surtout retenir de cette crise l’extraordinaire capacité d’adaptation de nos entreprises, qui permet de voir le futur avec optimisme.
Il n’y a ni monde d’avant, ni monde d’après. Nous sommes en revanche à un point de bascule entre deux décennies. Le coronavirus a servi de révélateur en déshabillant notre système de ses artifices et en montrant où était l’essentiel. Un « hackeur » qui a testé la résistance des organisations, des femmes et des hommes qui les font vivre. Les tendances structurelles qui changeaient notre rapport au travail et à l’entreprise ont été amplifiées par la conjoncture brutale. Ce qui devait disparaître a disparu beaucoup plus rapidement, ce qui émergeait s’est développé très vite et s’impose à nous.
Nous avons appris que les modèles les plus résistants sont les modèles hybrides. Le drive et la livraison ont compensé les limitations de fréquentation ou la fermeture des points de vente physiques, mais créent de nouvelles habitudes de consommation et de nouvelles opportunités. Les distributeurs ont su très vite modifier leurs circuits pour mettre en place des approvisionnements locaux, et la part de ces derniers va sans doute rester plus élevée qu’avant. Le télétravail a permis de maintenir l’activité de nombreuses entreprises, il va permettre demain de fluidifier les organisations, réduire les coûts sans réduire les emplois.
Nous avons aussi vu à quel point nous avons oscillé entre les besoins de sécurisation, d’accompagnement et de « ré-engagement », ce qui présente de nouvelles complexités, notamment pour l’interne. Il faut reconstruire un collectif, écartelé pendant des mois entre télétravail, chômage partiel et activité pleine, voire suractivité pour certaines équipes en première ligne. Mais nous avons appris avec cette crise que c’était possible, que les organisations sont agiles, adaptables, et que face aux difficultés, tout le monde joue son rôle. Nous allons sans doute assister à un allègement des organisations avec un objectif d’efficacité, une simplification des méthodes et des process. La constitution d’équipes projets « flash », composée d’experts internes et externes, dans un monde où l’on va beaucoup moins recruter dans les deux ans qui viennent, va devenir un mode opératoire classique.
Les entreprises et les organisations vont subir durablement une double pression. En interne, celle de salariés qui ont fait l’expérience d’autres modalités de travail et d’autonomie et qui ne voudront pas y renoncer, tout en exigeant des garanties sur leur sécurité. En externe, celle de parties prenantes qui attendront les entreprises au rendez-vous de leurs responsabilités sanitaires, économiques et sociales. Au niveau des dirigeants, la crise aura contribué à les re-focaliser sur leur fonction essentielle d’éclaireur, de fédérateur, et sur l’exemplarité de leurs valeurs humaines, notamment d’humilité et d’authenticité. On a vu, dans la distribution, les télécoms, les mutuelles et ailleurs des dirigeants prendre leurs responsabilités, aller au contact, passer le cap difficile. Au plan managérial, le rôle incontournable du management de proximité, mis en lumière pendant le confinement, s’est imposé comme une condition déterminante de la confiance et donc de la performance des organisations. Ces managers de proximité devront plus que jamais être préparés, accompagnés et légitimés pour cela, en valorisant leurs compétences opérationnelles, relationnelles et émotionnelles.
Toutes les parties prenantes sont essentielles pour la chaîne de valeur de l’entreprise. Plus que jamais, il est nécessaire de garder le lien et l’engagement de tous, collaborateurs, partenaires, clients, fournisseurs. Désormais, les notions d’engagement et de réputation sont beaucoup mieux comprises comme des actifs stratégiques, car elles permettent aux entreprises de continuer à fonctionner et reprendre leur activité après la crise. Une belle opportunité de passer de la « raison d’être » à la « raison d’agir ».
Benoît Cornu