Article rédigé par Christophe Lachnitt – Fondateur et CEO de Croisens | Fondateur et éditeur de Superception, un de nos nombreux Talents Juste, qui partage avec nous ses idées et son expertise !

Article original publié sur le Blog « Superception« 


Illustration avec la prochaine introduction en Bourse de Casper.

Une prise de conscience est en train de potentiellement révolutionner le marché des biens de grande consommation outre-Atlantique : il apparaît que, pour les produits de première nécessité, les coûts d’acquisition des clients sont aussi élevés dans la sphère numérique que dans l’univers physique. Ce constat remet en cause de nombreux modèles stratégiques, opérationnels et managériaux développés dans ce secteur depuis une vingtaine d’années.

L’exemple de Dollar Shave Club, la pépite du Direct-to-Consumer (D2C) acquise pour un milliard de dollars par Unilever en 2016, est éclairant à cet égard. Le spécialiste de la vente sur abonnement de fournitures de rasage ne serait toujours pas rentable du fait, en particulier, de ses coûts d’acquisition de clients. Procter & Gamble rencontre également des difficultés pour rentabiliser les spécialistes du D2C (Native Deodorant, Walker & Co…) qu’il a acquis.

Ainsi le mirage d’une irrésistible croissance rentable d’un très grand nombre d’entreprises sur les seuls réseaux sociaux semble-t-il de plus en plus inatteignable alors que beaucoup de marques D2C doivent investir dans une présence commerciale physique (dans des boutiques dédiées ou des magasins de chaînes de distribution) et des campagnes de publicité traditionnelles.

Dans ce contexte, il convient de se demander si ce phénomène concerne uniquement les produits de première nécessité (hygiène personnelle, entretien ménager…) ou s’il risque d’handicaper le développement de marques D2C au-delà de ce secteur. Avant que les prochaines années ne nous fournissent une réponse, il me semble que les investisseurs qui envisagent d’acheter des actions des espoirs du D2C et les groupes qui projettent de les acquérir devraient être particulièrement attentifs à leurs facteurs de différenciation propres.

En d’autres termes, il ne faudrait pas que le seul fait d’être actif dans le D2C constitue une prétendue garantie de succès comme ce fut le cas du numérique pour les startups opérant dans de domaine il y a vingt ans. Qui se souvient aujourd’hui de Pets.com, Kozmo ou Webvan ? Ces startups ont échoué non pas parce que leurs idées étaient ineptes – celles-ci sont aujourd’hui appliquées par d’autres acteurs – mais parce que leur modèle économique était déséquilibré.

(CC) Casper

La perspective de l’introduction en Bourse de Casper, cette start-up new yorkaise qui expédie des matelas dans des boîtes relativement petites à ses clients, confère une actualité bienvenue à cette réflexion. La croissance effrénée de Casper depuis sa création en 2014 a fait des ravages chez les acteurs historiques de la vente de matelas : Mattress Firm par exemple, qui possédait environ 3 000 magasins physiques, a fait faillite en 2018. Pour autant, Casper n’est toujours pas rentable : elle a encore perdu l’an dernier 21 cents pour chaque dollar de chiffre d’affaires qu’elle a engrangé1.

Or Casper insiste, dans les documents relatifs à son entrée en Bourse qu’elle a publiés il y a quelques jours, sur la valeur de sa marque2 :

Notre mission consiste à libérer le potentiel d’un monde bien reposé et nous voulons que Casper devienne la marque de référence pour les meilleurs produits et expériences améliorant le sommeil. Nous croyons que les marques attractives l’emportent sur la durée et ont la capacité de changer la culture de leur environnement. Nous avons entrepris de construire une marque authentique, digne de confiance, accessible, joyeuse et divertissante.

Grâce à notre investissement dans une stratégie marketing sophistiquée et intégrée, nous intéressons les consommateurs tout au long de leur expérience avec notre entreprise, de nos campagnes publicitaires jusqu’à nos magasins expérientiels et notre ‘Napmobile’ en passant par notre présence sur les réseaux sociaux. Nous considérons la marque Casper comme un actif d’une valeur insondable que nous utilisons pour nous adjuger une part importante de l’économie du sommeil.

Certes, une marque forte est un facteur hypothétiquement déterminant, et ce d’autant plus dans un marché de la vente de matelas en ligne qui compte pas moins de 175 concurrents et qui ne se caractérise pas par une grande différenciation technologique3.

Mais il ne peut à lui seul occulter ou compenser les faiblesses inhérentes au business model de l’entreprise concernée. Sinon le risque encouru par celle-ci, et ses actionnaires, est que la croissance favorisée par sa notoriété soit réalisée en sacrifiant sa rentabilité et qu’elle ne soit donc que de relative durée.

Les leçons apprises lors de l’éclatement de la bulle Internet sont toujours pertinentes même si “l’exubérance irrationnelle” chère à Alan Greenspan concerne l’une de ses émanations les plus prometteuses.

Christophe Lachnitt
Article original

1 Les coûts d’acquisition de clients n’expliquent pas seuls cette contre-performance. Elle résulte aussi des charges de plusieurs dizaines de millions de dollars occasionnées par la possibilité donnée à ses clients de retourner gratuitement un produit acheté jusqu’à 100 jours après sa réception.

2 Ainsi que l’a relevé l’analyste Ben Thompson.

3 Malgré les dires de Casper qui, dans ses documents de référence, cite les termes “technologie” et “technologique” pas moins de 112 fois afin de tenter de bénéficier d’une valorisation accrue. Comme tous les acteurs du retailCasper développe des applications mobiles et analyse les données qu’elle collecte au sujet de ses clients. Et elle vend une lampe connectée. Mais cela n’en fait pas une entreprise technologique.